«C’est le temps de l’amour, le temps des copains, et
de l’aventure, Quand le temps va et vient, on ne pense à rien malgré ses
blessures ». C’est sur cette chanson de Françoise Hardy que Sam et Suzy
célèbrent leur arrivée sur la terre qu’ils ont conquise, une petite crique
paradisiaque éloignée de tout. Loin de leur parents trop occupés à sombrer dans
leurs dépressions respectives, de leurs camarades prêts à tout pour les
éliminer, et avant tout, loin de leur solitude. En entendant ces paroles, on ne
peut s’empêcher de penser que Moonrise
Kingdom est né de cette chanson, de sa poésie, et de sa mélancolie.
Ce qui est merveilleux dans le dernier film de Wes Anderson,
c’est l’aventure visuelle qui nous est offerte. Le cinéaste crée un pays des
merveilles, où les fantasmes enfantins les plus fous se réalisent. L’esthétique
employée n’est donc pas éloignée du précédent film du cinéaste, Le fantastique
Mr. Fox.
Orphelin pour une raison que l’on ignore, abandonné par sa
famille d’accueil, sans amis, Sam trouve en Suzy la personne qui va combler
tous ses manques. Cette petite fille du même âge est une sorte de double
inversé de Sam. Elle est l’aînée d’une famille nombreuse, souffre d’un
tempérament colérique et violent, et possède une imagination sans limites. Elle
fuit la réalité de sa vie dans des livres, s’imagine avoir un superpouvoir que
lui fournissent ses jumelles. Lorsque Sam et Suzy se voient pour la première fois,
c’est le coup de foudre. L’amour fusionnel qui les habite est un amour de
roman, de conte de fées, un amour inconditionnel, qui vient s’opposer
puissamment au désamour qu’ils ont tous deux connu. Rien ne peut les
séparer : ni l’indélicatesse de Sam qui rit lorsqu’elle lui apprend
pourquoi elle a fugué, ni le pouvoir de l’autorité parentale.
Anderson met en scène le fantasme de tout enfant qui
rêve d’amour. Place donc au conte de fées, aux grandes scènes romantiques - comme lorsque Sam peint Suzy à la manière dont Jack peignait Rose sur le
Titanic - à une abondance d’ennemis prêts à tout pour séparer les amoureux, le
tout dans une esthétique splendide aux couleurs chaudes. L’orange et le jaune
dominent comme si le monde de Mr. Fox avait été transposé dans la réalité des
années 60. Comme leur prédécesseur, un élégant renard rusé, Sam et Suzy doivent
survivre avant de pouvoir réellement vivre. Après un long périple, se produit
une chose merveilleusement étrange. Alors que dans la première partie se
rejouait entre les enfants Sa Majesté des mouches, la situation se renverse.
Les enfants, séduits par la vision de cet amour passionné, se réunissent et
s’engagent à tout faire pour que le couple reste uni.
Pendant ce temps, au monde des adultes, on se morfond dans
sa tristesse. Du côté des hommes, on combat la dépression. Le père de Suzy
(Bill Murray) pense au suicide, le chef des Scouts, Master Ward (Edward Norton)
désespère de ne savoir maîtriser ses troupes, tandis que le gentil policier,
Captain Sharp (Bruce Willis) souffre de sa solitude. Les femmes elles manquent
cruellement d’instinct maternel. La violence du monde adulte contamine le monde
de l’enfance, et c’est bien ce virus de la tristesse et de la dépression que
nos deux jeunes héros fuient. La violence reste présente dans leur relation aux
autres mais est détournée afin de la rendre romantique (encore un fantasme
adolescent), et gentiment comique. Voyez cette scène où Sam fabrique des boucles
d’oreilles avec des hameçons et les offre à Suzy qui, malheur, n’a pas les oreilles
percées. Sam lui en perce une, à la barbare, elle crie, souffre, saigne. Puis
se retourne vers son âme sœur et lui dit « Fais l’autre ».
Et c’est le lyrisme, le romantisme, la fantaisie du royaume
des enfants qui l’emportent. Alors que la vie de Sam est menacée, les adultes
sortent de leur torpeur égocentrique. Le doux Captain Sharp se prend d’affection
pour le petit Sam, et décide d’en prendre la garde. Comme dans un conte de
fées, le père et le fils se trouvent enfin.
Avec Moonrise Kingdom, le fantastique Wes Anderson nous
livre un véritable poème cinématographique, parfois drôle et souvent
mélancolique. Très vite, en sortant de la projection l’envie de se replonger
dans ce monde des merveilles nous reprend. Françoise chantait justement : « le
temps de l’amour, c’est long et c’est court, ça dure toujours, on s’en
souvient. » Et de ce film aussi, on se souviendra.
Viddy Well !
E.C
Merci pour ce bon commentaire ! ça me donne trop l'envie de le voir! faut qu'il soit le 25 mai aux States déjà !!
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