jeudi 7 juin 2012

ON THE SOUND TRACK OF... 2001: A SPACE ODYSSEY

À l’occasion de la sortie de Prometheus, revenons un peu sur nos classiques avec 2001 : L’Odyssée de l’espace, film qui a bouleversé la science-fiction et monument de l’histoire du cinéma. Les avis sont unanimes, c’est un chef-d’oeuvre...
Et pourtant il n’est pas rare d’entendre la confession suivante : «j’ai bien aimé, mais j’avoue que je ne suis pas sûr d’avoir tout compris...» 
Voici donc une proposition d’interprétation à travers la bande originale du film, qui permet de suivre la logique interne de la trame narrative ; car le génie de Kubrick ne s’arrête pas au visuel, il donne à la musique un discours à part entière. La musique existe dans l’absolu en tant que symbole et renforce la logique interne du film.
Ouverture : création de György Ligeti
Le film s’ouvre sur un écran noir. En fond sonore, la musique de György Ligeti «Atmospheres» s’accorde avec le néant de l’image pendant 2:45mins. Des notes soutenues par plusieurs instruments (piano, cordes, vents) forment un magma musical, sans mélodie mais marqué de nuances progressives : les cordes montent vers l’aigu en forte puis retombent en mezzo piano. Puis les notes se font plus distinctes, le néant devient autre : c’est la création de l’univers.
La musique cesse, le logo de la MGM apparaît.

Le générique : d’Alex North à Strauss
Le début mythique de L’Odyssée de l’espace avec le thème du film «Ainsi parlait Zarathoustra» de Richard Strauss, devait à l’origine être tout autre. À la demande du réalisateur, Alex North composa 40 minutes de musique futuriste. Mais Kubrick opta finalement pour de la musique classique et son caractère intemporel.

Version d'Alex North :

Version finale : 


Du néant à la troisième dimension
En synchronisation avec l’image, les trois premières notes do# - sol# - do# (à l’octave du dessus) constituent un accord parfait majeur. La sensation de grandeur est renforcée par les battements de tambours lorsque les trois notes marquent l’apparition des trois astres (les deux planètes et le soleil) dans un alignement parfait. Après le néant de l’ouverture, ce début est inscrit dans une dimension ternaire, l’apparition de la vie et de l’homme. 
Du do#, le compositeur passe directement au sol#, sans passer par le mi qui constitue l’accord de base, une sensation de saut qui annonce le fond du film, tout comme sa dimension cyclique, l’éternel recommencement. La boucle de vie présente dans le film se retrouve musicalement par le retour au do, mais à l’octave du dessus. Malgré le retour à l’origine, il y a un saut, un progrès.
Le thème poursuit avec une série d’accords parfaits en crescendo et vers l’aigu, à l’image, l’harmonie parfaite entre les planètes donne l’idée d’achèvement. Le nom de ceux qui sont à l’origine du film apparaît également à chaque accord, le nom de Kubrick apparaissant avant le titre qui annonce la conquête de l’espace par l’homme. La musique aussi est à la hauteur d’une odyssée et rejoint la dimension philosophique du film.
«Ainsi parlait Zarathoustra», oeuvre de Nietzsche, défend l’idée que la destinée de l’homme est de devenir un surhomme.
«Qu’est-ce que le singe pour l’homme ? 
Une dérision ou une honte douloureuse.
Et ce que doit être l’homme pour le surhomme ?
Une dérision ou une honte douloureuse.»
Dans le film de Kubrick, la notion de dépassement est aussi présente : le singe devient homme. Puis en tuant Hal, la machine créée par l’homme, l’homme devient surhomme en s’affranchissant de sa création. Le chiffre trois est au fondement des trois oeuvres : 
  • le singe, l’homme, le surhomme chez Nietzsche. 
  • les trois notes en accord parfait cyclique de Strauss.
  • l’alignement des trois astres chez Kubrick, puis dans la séquence du monolithe à nouveau : monolithe, soleil, lune.

En religion, Zarathoustra «celui à la lumière brillante», était un prophète iranien dont la doctrine était proche du christianisme, du judaïsme et de l’Islam en ce qu’elle affirme l’existence d’un Dieu unique, Ahura Mazda, d’un enfer et d’un paradis et d’un jugement dernier par trois juges. Selon le prophète, la divinité exerce un pouvoir sur la destinée de l’homme à chaque apparition, et vient pour les libérer. Ce fut ce personnage qui inspira Nietzsche et la notion de surhomme. Dans L’Odyssée de l’espace, c’est le monolithe qui semble agir sur l’évolution de l’homme à chaque apparition, et qui vient l’affranchir de sa condition précédente.
Le monolithe : l’intervention divine ou extra-terrestre
Les premières images sur terre sont marquées par un faux silence : le bruit du vent et des animaux constitue un véritable fond sonore.  L’ancêtre de l’homme apparaît enfin dans ce paysage désertique. Les singes se font attaquer par des bêtes sauvages, ils ne savent pas se défendre. Lorsqu’ils défendent leur point d’eau de l’invasion d’une autre tribu, ils ne savent émettre en signe de protestation que des grognements et des cris gutturaux, avant de se résigner à la défaite. Le singe semble avoir atteint un point buttoir. Il est voué à disparaître s’il n’évolue pas.
C’est alors qu’apparaît pour la première fois le monolithe, sorte de grande plaque metallique intemporelle.
Chaque apparition du monolithe (4 au total) est marquée par l’accompagnement d’une musique chorale expérimentale : «Requiem», de György Ligeti. Les voix d’hommes et de femmes sont mêlées à des instruments à vent, produisant une sorte de bourdonnement aliénant. Le tout forme un ensemble dissonant. Tout comme cette barre verticale se démarque de l’environnement, le son ne semble pas humain mais metallique, il suggère quelque chose d’extra-terrestre. Dans l’histoire, le monolithe intrigue, les savants de la deuxième partie le disent vivant, extra-terrestre. Il a un pouvoir sur l’homme, il peut être la représentation de ce Dieu monothéiste qui intervient sur l’évolution de l’humanité. Il annonce une délivrance et l’affranchissement de l’homme par rapport à sa condition précédente.

Suite à cette apparition, le singe découvre l’outil. Il peut se défendre, il utilise l’objet pour sa survie (la chasse, le conflit). Le singe change de nature, il se met debout et devient homme. Le monolithe s’aligne avec la lune et le soleil, annonçant le passage de l’homme à la maîtrise de la troisième dimension. Le thème revient comme à chaque renaissance, «Ainsi parlait Zarathoustra», rappelant la théorie de Nietzsche et soulignant par un crescendo et des accords parfaits l’exploit accomplit par le singe : il lance l’outil vers le ciel, le singe est affranchit de sa condition. Changement de plan : l’os lancé devient un vaisseau spatial, Kubrick projette l’homme 4 millions d’années plus tard avec l’ellipse la plus connue de l’histoire du cinéma. Le saut impressionne, le vaisseau semble flotter, il ne tombe pas dans l’espace comme la chute de l’os le laisse implicitement présager - l’homme saura-t-il s’affranchir de sa condition pour devenir surhomme ? Ou stagnera-t-il pour enfin disparaître ? 


L’homme, maître de sa création


L’homme dans l’espace apparaît comme maître de l’outil, créateur de vaisseaux à la pointe de la technologie qui circulent parmis les astres dans une danse parfaite. Le chiffre 3 est constamment présent dans cette partie : l’homme maîtrise la troisième dimension. Il n’est pas anodin que la musique choisie soit une valse, «Le Beau Danube Bleu», de Strauss, avec le retour cyclique de trois temps. Le mouvement des vaisseaux autour de la planète, le vaisseau qui tourne sur lui-même, l’entrée des instruments s’accorde avec celle de chaque nouvel élément dans le plan, les nuances et les ritendo, les forte lorsque la planète Terre sature le cadre, tout est en parfaite harmonie visuelle ; un véritable ballet. Puis un nouveau vaisseau en forme de roue apparaît, tournant sur lui-même et autour de la planète, il semble danser la valse. On note en musique la présence d’un triangle, qui marque trois petits coups... Le vaisseau est à l’image pendant les trois premières phrases musicales, Kubrick choisit le début de la quatrième pour nous faire rentrer dans le vaisseau. Le passage à la quatrième dimension est annoncé. À l’intérieur, la valse continue, grâce et apesanteur, un homme dort, son stylo flotte rappelant l’os de l’ellipse : les hommes sont sur leurs acquis.





La lutte de l’homme contre sa création et le passage à la 4ème dimension


Suite à l’apparition du monolithe sur Jupiter, le changement est à nouveau amorcé. 18 mois plus tard, deux astronautes : David Bowman, Frank Poole et 3 autres astronautes en hibernation doivent effectuer un voyage de neuf mois afin d’accomplir une mission secrète sur Jupiter. HAL, un ordinateur réputé pour n’avoir jamais eu de failles, est avec eux. 
Le «Gayane Ballet Suite» d’Aram Khachaturian accompagne les premières images, la musique suit la vie monotone des astronautes à bord du vaisseau. Tonalité mineure, des bémols, l’air triste et fade traduit l’ennui et la répétition de gestes quotidiens.





Lorsque HAL veut détrôner son créateur pour devenir maître du vaisseau, Bowman tente de le lobotomiser.

Avant de mourir, HAL chante «Daisy, or a bicycle for two», rendant la scène insoutenable pour son bourreau, l’ordinateur semble doté de sentiments humains et ne cesse de répéter le leitmotiv «I’m afraid». Mais l’homme y parvient. Il s’affranchit de la machine de laquelle il était dépendant. Le monolithe revient.
L’astronaute David Bowman entreprend alors un voyage à travers l’espace et le temps, accompagné par la musique du début de Ligeti «Atmospheres». Cette fois, ce n’est plus le néant qui devient matière, mais il y a création. Les couleurs deviennent paysages, la musique prend forme en même temps que les images. Tous les éléments sont présents, l’air avec le vent, l’eau, la terre, le feu par la couleur, la musique accompagne l’ébauche d’un monde. Plus ce monde se construit, plus la musique va en crescendo jusqu’à ce que le paysage devienne net et les notes distinctes. Bowman se retrouve dans cet espace intemporel et vieillit en trois temps sur son lit de mort, le monolithe est là pour la quatrième fois. L’homme se retrouve dans un au-delà, la quatrième dimension, et redevient foetus. Puis la vie recommence. «Ainsi parlait Zarathoustra» de Strauss suit le voyage du foetus vers la Terre, suggérant ainsi l’éternel recommencement, ce retour de l’être humain vers la troisième dimension.


Viddy Well, 


E.D.


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